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La vaccination contre le COVID-19: luxe ou liberté ?



Il m’est difficile de m’asseoir face à l’écran et d’écrire (enfin) cet article. Cela fait depuis deux mois que je le repousse au lendemain. Pas le courage, pas la force, c’est trop difficile, je ne sais pas par où commencer, j’ai le sentiment que cette fois je ne trouverais pas les mots…Comment expliquer l’horreur de ce que nous vivons alors que tout semble « normal » dehors, alors que tout semble « comme avant » sur les réseaux sociaux ?


J’attrape mon téléphone, ouvre Instagram et ce sont des photos et des vidéos de voyages qui défilent. C’est l’été, on part en vacances, en montagne ou à la mer, on boit des coups en terrasse, on retrouve les amis, on fait des barbecues, on ouvre le rosé, tout va bien. La pandémie semble déjà être un lointain souvenir. Et pourtant, en arrière-plan on nous parle du variant Delta (mais c’est qui celui-là ?), d’un taux de contagion aussi élevé que la varicelle, d’une capacité hospitalière presque saturée…Mais on n’a pas envie d’écouter. Ça pourra bien attendre la fin de l’été.


La ville de Mexico vient supposément de repasser en « semáforo rojo » mais le gouvernement a immédiatement démenti les « autorités » sanitaires en affirmant que nous étions toujours en « semáforo naranja » et qu’il n’y avait aucune raison de s’alarmer. La vie suit donc son cours, les restaurants ne désemplissent pas (dois-je préciser qu’ils n’ont jamais fermé au Mexique ?), les avions et les plages non plus. Les hôpitaux sont engorgés mais on ne fait pas de tests : pas de test, pas de pandémie.



Dans ce contexte ahurissant, qu’en est-il de la vaccination au Mexique ? Le processus est lent, très lent, et les vaccins achetés par le gouvernement ne sont pas les meilleurs pour lutter contre l’infection. Beaucoup des vaccins administrés viennent de Chine (Sinovac et CanSino) et de Russie (Sputnik). AstraZeneca reste minoritaire et Pfizer est presque inexistant. Quant à Moderna et Johnson & Johnson, le Mexique n’en n’a pas acheté. Sinovac et CanSino ne garantissent une protection que partielle (difficile de véritablement la mesurer) et à l’heure même où j’écris, CanSino (dose unique) vient d’annoncer qu’une autre injection serait nécessaire…La Russie affirme une protection supérieure à 90% mais les problèmes de production ne permettront pas à certains pays de recevoir les deuxièmes doses dans les délais impartis. Ces trois derniers (Sinovac, CanSino et Sputnik) ne sont pas homologués par l’Union Européenne au contraire de Pfizer, Moderna, AstraZeneca et J&J.


Face à la lenteur de la vaccination et au scepticisme vis-à-vis de certains vaccins, un tourisme médical s’est mis en place depuis mars dernier. Des milliers de Mexicains ont voyagé et continuent de voyager aux Etats-Unis – son voisin tantôt aimé, tantôt haï – pour se faire vacciner. Personne n’oserait le dire ainsi, mais c’est un peu « marche ou crève ».


Mais analysons les choses d’un peu plus près : les Mexicains qui voyagent aux Etats-Unis pour se faire vacciner sont ceux qui en ont les moyens. La frontière terrestre étant fermée entre le Mexique et les Etats-Unis la seule voie d’entrée est la voie aérienne, or prendre l’avion coûte cher, que ce soit pour se rendre à Houston, Austin, Dallas, New York, Los Angeles…Outre le billet d’avion, il y a le coût de l’hôtel pour ceux qui n’ont pas de famille pouvant les héberger, auxquels viennent s’ajouter les coûts de transport local (métro, Uber…) et de nourriture. C’est une aubaine pour les Etats-Unis car au total, les Mexicains ont dépensé 325 millions de dollars entre les mois de mars et mai pour se faire vacciner. Sur cette période, 905 487 voyages du Mexique vers les Etats-Unis ont été enregistrés contre 614 070 entre octobre 2020 et février 2021[1].


Certains ont envisagé un instant que le Président Biden s’opposerait à la vaccination pour les non-ressortissants américains mais au contraire : il s’est ouvertement exprimé sur le sujet en disant que les Mexicains étaient les bienvenus pour se faire vacciner. La vérité c’est que les Etats-Unis possèdent plus de doses qu’ils n’en n’ont besoin pour l’ensemble de leur population, sans compter que beaucoup d’Américains refusent de se faire vacciner. En outre, il est dans le plus grand intérêt des Etats-Unis de donner accès à la vaccination au Mexique lorsque l’on sait que les échanges commerciaux entre les deux pays sont majeurs.


Outre les Mexicains, de nombreux expatriés au Mexique, pour la plupart Européens, se sont fait vacciner aux Etats-Unis (et continuent de le faire). J’ai fait partie de ce groupe-là. En avril dernier, face à la gravité de la situation à Mexico, étant en contact perpétuel avec des clientes dans le showroom de Sauvage (il faut bien que je fasse fonctionner mon affaire) et Andy étant forcé de visiter des usines de production pour son travail, nous avons décidé de nous faire vacciner en Californie où nous avons de la famille. Nous avons voyagé deux fois, à trois semaines d’intervalle, afin d’obtenir les deux doses du vaccin Pfizer.


Naïve, je souhaitais me conformer au calendrier vaccinal mexicain ou attendre d’éventuellement voyager en France pour avoir accès au vaccin. Mais la vaccination n’était alors même pas ouverte aux Français de l’étranger dans l’hexagone. C’est à ce moment-là que j’ai pris (durement) conscience de la situation, des inégalités qui n’ont jamais eu de cesse d’exister mais que la pandémie renforce et révèle un peu plus chaque jour. En réalité, c’est Andy qui m’a ouvert les yeux sur quelque chose dont j’avais au fond conscience mais que d’une certaine manière je me refusais à voir. Cette réalité s’appelle : « Marche ou crève ». Je suis consciente que ce mantra est d’une violence inouïe et pourtant…


Ce que ne disent pas les médias locaux (et qu’ils ne diront jamais parce qu’ils sont de mèche avec le gouvernement) c’est que dans les usines mexicaines des milliers de gens meurent dans la plus grande indifférence. Et le sentiment de négation est si fort au Mexique qu’on fait comme si de rien n’était. Beaucoup de gens ayant perdu un proche à cause de la pandémie ne vous diront jamais que ce fut à cause du COVID-19. C’était juste un accident, une grippe qui a mal tourné, la volonté de Dieu…Les femmes enceintes sont forcées d’aller travailler dans des environnements professionnels où il ne fait aucun secret que le taux de contagion est élevé. Certains tombés gravement malades et qui s’en sont remis sont forcés de rejoindre la chaîne de production alors même qu’ils ne peuvent se payer le luxe de tomber à nouveau malade. Mais le Mexique n’offre aucune aide sociale, cela signifie que vous n’avez aucune alternative.


Au Mexique, il faut assumer le coût annuel d’une assurance de santé privée, il faut épargner soi-même pour sa retraite et il faut payer soi-même ses études. Il existe bien une sécurité sociale et l’employeur se doit d’y enregistrer ses employés mais elle n’est en rien comparable à la sécurité sociale française pourtant si décriée par mes compatriotes. Être inscrit à l’IMSS (Instituto Mexicano del Seguro Social) donne accès aux hôpitaux publics bien souvent saturés et délabrés. Il n’est pas rare de voir des patients hospitalisés sur des chaises ou à même le sol dans les couloirs. Il n’existe pas de véritable médecine de proximité, celle que nous nommons en France médecine de famille et qui consiste à consulter son médecin traitant. En cas de problème de santé, il faut attendre que l’IMSS vous accorde un rendez-vous à l’hôpital et cela peut prendre du temps, beaucoup de temps. Certaines entreprises offrent une assurance de santé privée à leurs employés mais elles sont peu nombreuses et concernent principalement les employés de bureau (cols blancs), pas d’usines où pourtant, les problèmes de santé sont plus nombreux.



Si j’écris tout ça c’est simplement pour démontrer que l’accès à la santé et à une vie décente est au Mexique hautement déterminé par son origine sociale. Il ne suffit pas d’être « bon » à l’école, il ne suffit pas de travailler « dur »…[Voir l'article Inégalités sociales, santé et éducation au Mexique]


Un grand nombre de mes compatriotes pensent que la vaccination est une liberté lorsqu’elle est en réalité un luxe. Je suis en faveur de la vaccination car elle a depuis Louis Pasteur en 1885 fait ses preuves. Non, je ne crois pas en la théorie du complot et je me réfère à des sources fiables, c’est-à-dire à des publications scientifiques de qualité comme celles du Lancet ou à des virologistes, seuls véritables spécialistes dans ce domaine. Je vous conseille à cet égard les publications d’Océane, virologiste expatriée en Californie, qui depuis plusieurs mois effectue un travail de vulgarisation scientifique où elle n’omet jamais de partager ses sources et où elle démantèle les « fake news ». Je tiens à préciser qu’elle ne génère aucun revenu en effectuant ce travail sur le très peu de temps libre dont elle dispose.



Je ne crois pas les anecdotes, les opinions, les spéculations : je crois les preuves scientifiques. Néanmoins, bien que je sois en faveur de la vaccination je ne nie pas ses effets secondaires (perturbation du cycle menstruel pour les femmes par exemple) et je comprends les « inquiets », les sceptiques. Mais lorsque l’on évalue le rapport bénéfices/risques, les bénéfices à se faire vacciner sont majeurs pour le bien de tous car c’est un fait, la vaccination repose sur un principe d’immunité collective. Plus la population vaccinée grandit, plus nous sommes protégés.


Certains amis qui vivent en France m’ont dit refuser se faire vacciner et considèrent inadmissible que la vaccination soit imposée sous peine de ne plus avoir accès aux lieux publics. Ils considèrent qu’on leur ôte leur liberté. Mais qu’en est-il de la liberté de vivre ? Qu’en est-il quand ce que je décide et quand mes actions mettent en péril la liberté de mes congénères ? C’est frustrant de voir que beaucoup refusent de se faire vacciner quand il a fallu pour d’autres payer pour y avoir accès.


Dans moins d’une semaine je voyagerai en France après deux ans et demi d’absence. Il m’a fallu pour cela obtenir le pass sanitaire, le nouveau sésame pour avoir accès aux endroits accueillants plus de 50 personnes (hôtels, musées, certains restaurants, etc…) Cela n’a pas été une mince affaire car au début, le gouvernement français ne reconnaissait pas la vaccination pratiquée en-dehors de l’Union Européenne bien qu’il s’agisse d’un vaccin homologué. En cas d’absence de pass sanitaire, un test PCR ou antigénique de mois de 48h est bien-sûr exigé pour rentrer sur le territoire français mais le fait est que sans vaccination, l’accès aux lieux publics reste limité. Pour les expatriés, seuls les ressortissants français et leurs ayant-droits (conjoint par mariage ou par PACS et enfants) ont accès au pass sanitaire. Pour ceux qui vivent en concubinage c’est une autre histoire…C’est qu’il est devenu difficile de voyager et de rentrer dans son propre pays

Oserais-je avouer que je crains de « rentrer » en France ? Est-ce parce-que beaucoup de temps a passé ? Est-ce parce-que je ne parle presque jamais français ? Est-ce parce-que mon regard sur le monde a changé ? Est-ce parce-que je ne comprends pas les débats qui agitent la France ?


Je vis dans un pays où les écoles demeurent fermées mais où les bars, boites de nuit et stades de foot sont ouverts…Je vis dans un pays où il n’existe aucune restriction d’entrée. Je vis dans un pays où le président refuse de porter un masque. Je vis dans un pays où des milliers de gens meurent dans la plus grande indifférence. Il m’y arrive d’y croiser des Français en voyage qui me disent qu’ils en ont « marre » des restrictions françaises.


Je vis dans un monde hallucinant où je ne comprends plus rien mais ce n’est pas grave parce-que les gens semblent heureux sur Instagram et le soleil continue de briller sur les plages de Cancun.

[1] Reportes del Centro de Investigación y Competitividad Turística Anáhuac (Cicotur)

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