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Chilaquiles entre amis


Lundi dernier j’ai reçu un message de J. via Messenger : « Hola Hélène !!! ¿Cómo estás? ¡Estoy en Monterrey! ¡Hay que vernos si estás aquí!»

J., c’est un pote du Master et je l’ai rencontré durant mon semestre à Monterrey. Il est en couple mixte (lui aussi !) avec une une super fille maroco-portugaise et ils vivent tous les deux à Paris. J. est Hondurien mais a grandi au Mexique et il a rejoint sa compagne en France. Je dis que c’est une « super fille » car elle est l’archétype de celle qui croque la vie à pleine dents. Le sourire toujours aux lèvres et une attitude ultra-positive, un enthousiasme à toute épreuve ainsi qu’une bonne dose d’humour sont tous les traits qui la caractérisent et je dois dire que ça fait du bien ; de quoi illuminer votre journée si ce n’est votre semaine car son énergie est communicative.

J. s’en va dès le lendemain, il n’est que de passage, alors en moins de dix minutes le deal est scellé : rendez-vous pour le petit-déjeuner chez Frida Chilaquiles. Il m’a dit 10h, « ponctualité française », et je ris car je vois qu’il a pris le pli français (au Mexique, il était toujours en retard, je devrais presque dire comme il se doit).

Mardi, 10h pétantes, j’arrive chez Frida et j’aperçois J. et sa compagne déjà attablés, en train d’explorer le menu. Après les effusions de nos retrouvailles, on commence à discuter. Il y a un peu plus de six mois, ils ont acheté un appartement à Paris, un vrai chez eux, et surtout un investissement pour le futur. Ils sont tous les deux en CDI (le sésame de l’emploi en France) et planifient leur mariage. Bref, tout est « whouah ». Je pense à Andy et moi-même. On est mariés (on s’est même mariés deux fois !) mais pendant que lui trime comme un malade pour faire grandir sa boîte, je suis de mon côté aux prises de ma vie d’expatriée compliquée. Nous sommes locataires au Mexique mais nous avons déjà commencé à épargner pour investir à Paris. Problème : les conditions d’accès à un financement sont très compliquées pour nous. Débarquer dans une banque française en disant que mes revenus sont irréguliers, que mon mari est chef d’entreprise, et que nos ressources sont en pesos, ce n’est pas ce qui rassure le plus. Nous sommes donc deux couples mixtes et surtout deux couples d’amis à un stade complètement différent.

Alors que vous lisez ces mots, je suis sûre que vous vous dites : « Elle est jalouse ! » Le suis-je ? Peut-être, sûrement un peu je l’admets, mais c’est une jalousie saine car je suis profondément heureuse pour mes amis. Si j’écris tout ça, c’est plus pour souligner à quel point la vie nous mène tous sur des chemins différents. Parfois, je traîne mes vieilles rancœurs, je me dis que je n’aurais jamais dû rester autant de temps à Monterrey, mais plutôt forcer le destin en imposant à mon mari le fait que j’allais chercher du travail à Mexico où les opportunités sont plus grandes. Je me dis que je me suis laissé asphyxier, que toutes mes ambitions ont été mises à mal, que j’ai trop sacrifié. Je suis las de cette période de transition dans laquelle nous nous trouvons où nous ne savons pas vraiment de quoi sera fait demain, où Andy et moi manquons de visibilité, lui dévoué à la croissance de son entreprise, moi me battant pour faire publier mon livre.

Dans une dizaine de jours, je célébrerai mes 30 ans et tout autour de moi je vois les gens avancer sur le chemin de la vie. Tous semblent évoluer, concrétiser des projets, parvenir à des aboutissements (promotion professionnelle, achat de maison, bébé en route) alors que je me sens « stuck » et que si j’en suis là, c’est de ma responsabilité. C’est bien moi qui ai fait le choix de suivre Andy au Mexique !

Après deux ans de vie expatriée, il y a les jours gris, ceux où je broie du noir et où je me dis que je suis nulle, ceux où j’ai le sentiment que je ne vais nulle part et où j’ai tout simplement perdu la foi. Puis il y a ceux où je me rappelle ce que j’ai entrepris : le blog, le livre…n’est-ce-pas déjà un accomplissement en soi ?

Récemment, je me suis mise à écouter le podcast Millenial par Megan Tan. Fraîchement diplômée, Megan s’aperçoit qu’elle n’a aucun plan concret mais que surtout, elle ne souhaite pas travailler comme photojournaliste (ce qu’elle a étudié). Non, son rêve est de travailler à la radio et elle lance alors le podcast Millennial où elle aborde tous les challenges auxquels fait aujourd’hui face la génération des Millenials (dit aussi Génération Y).

J’ai beaucoup aimé l’épisode 2 de la première saison, intitulé Living on The Line. « Living on the line » pourrait être traduit par « vivre sur le fil » mais ça signifie surtout ici, garder le cap. Megan explique en quoi on a parfois un champ des possibles face à nous et qu’il est alors urgent de définir ce que l’on veut vraiment et de s’y tenir. Dans cet épisode, Megan fait ainsi le choix de refuser une offre du LA Times car son projet est de travailler dans la radio et de lancer son podcast. Pour beaucoup, son choix semble irrationnel et ne correspond pas aux attentes de la société : elle est donc seule et son plus grand challenge est de se tenir à cette décision et tout mettre en œuvre pour parvenir à ses objectifs.

Elle rebondit dans l’épisode 4, Nothing to Lose, en soulignant à quel point c’est difficile. Lorsque l’on a un projet personnel on est seul avec nous même et son accomplissement dépend entièrement de notre personne. Il n’y a aucun chef pour nous motiver, nous mettre des échéances et attendre des résultats. Megan dit dans son podcast: « Starting something on your own comes with anxiety, fear and provokes a love-hate relationship that you have with yourself. And the question is: how do you stop yourself becoming your worst enemy when it comes to pursuing the things that you actually want? ». Cela signifie : « Commencer quelque chose de soi-même s’accompagne d’anxiété, de peur et provoque une relation d’amour-haine avec soi-même. Et la question est : comment arrêter de devenir notre pire ennemi lorsqu’il s’agit de poursuivre les choses qu’en réalité nous voulons ? »

Tout ce que Megan aborde me parle beaucoup car je m’y identifie totalement. Derrière l’apparent confort d’écrire pour le blog de chez moi ou d’un café, l’apparente sérénité qu’écrire un livre peut donner, il y a la solitude, immense. Je suis seule avec moi-même et unique responsable de faire marcher les choses. Si j’échoue, ce sera ma faute. C’est d’autant plus difficile que pour le moment, je ne vois pas encore les résultats, le fameux retour sur investissement. L’expatriation m’a amené à élaborer de nouveaux projets mais pourrais-je réellement vivre de ces projets un jour ? La société me renvoie une image négative or je sais que je dois maintenir le cap, living on the line, comme Megan.

Revenons à notre petit-déjeuner entre amis. On parle, on parle, ça me fait tellement de bien de les voir, d’être en compagnie d’un autre couple mixte (comme ce fût le cas à Real de Catorce il y a de ça quelques mois). Si l’on y pense, notre table est plutôt cosmopolite : un Hondurien, un Mexicain, une Maroco-Portugaise et une Française ! J’aime ça. Et puis je me mets à parler de mon livre. Je me sens un peu bête car je connais les statistiques, le faible pourcentage de probabilités que mon manuscrit soit un jour publié. Je m’imagine qu’ils vont rire de moi, c’est absurde de parler de mon livre. Mais sans savoir pourquoi, je continue d’en parler et soudain, la compagne de J. dit : « Ah mais attend, j’ai un contact ! Ma voisine est éditrice ! » Je n’en crois pas mes yeux. Tout dans cette minute de vie vient de se concorder à merveille : moi parlant de mon livre, elle ayant un contact. C’est comme si cela avait été planifié. Croyez-vous au hasard ? On a réglé la note puis nous sommes partis tous les quatre à l’appartement afin que je transmette le manuscrit à la compagne de J.

L’incertitude est désormais totale sur ce qui adviendra mais parfois le destin fait drôlement les choses. J’ai cherché qui était cette fameuse éditrice sur Google et elle est très importante. On verra…On voyage, on croise des gens, on fait des rencontres et alors notre vie prend une direction inattendue. Lundi dernier, je publiais un article sur le bilan de ma deuxième année expatriée au Mexique : je concluais en disant que malgré mes sentiments mitigés, il est primordial de rester positive. Et voilà que quelques jours après, je me suis retrouvée avec un couple d’amis autour d’un super-extra-méga-cool petit-déjeuner de chilaquiles. J’en suis sortie reboustée et de retour à la maison, je me suis décidée à rédiger un mail à l’attention de l’unique contact que je possède personnellement dans l’édition. J’avais hésité durant de nombreuses semaines car je n’aime pas demander des faveurs. Dans le même temps, je n’avais rien à perdre et je l’aurais regretté si je ne l’avais pas fait. Les choses ont bougé durant ce petit-déjeuner et l’après-midi qui a suivi. J’ai été franchement dynamisée et je crois que j’en avais infiniment besoin.

J’ai repensé à mes amis et à où ils en sont dans la vie. Et j’ai pensé à Andy et moi-même. Finalement, même si je ne me sens pas accomplie, peut-être est-ce simplement que ce n’est pas encore mon heure. On a tous des trajectoires et des temps différents. Peut-être que l’inconfortable transition dans laquelle je me trouve va encore durer un bon moment. Peut-être que je dois encore faire plus, me battre plus fort pour mes rêves d’auteur. Peut-être que je dois me droguer d’écriture, de lettres, de mots, jusqu’à les faire danser dans mon esprit la nuit. Peut-être me faut-il avoir un peu plus foi en l’avenir et en moi-même, oser parler de ce que fais et en être fière. Et alors peut-être que « ça » viendra…C’est juste que maintenant, ce n’est pas encore le moment.

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