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Nos vanités / Chapitre 2 - La menace

Cet article est la suite de la nouvelle Nos vanités que j'ai commencé à écrire la semaine dernière. Si ce n'est pas déjà fait, je vous invite à lire le premier chapitre: Un nouvel an entre amis.


Comme à chaque mois de janvier, la routine avait repris ses quartiers pour les quatre amis. Marie détestait cette période où après les fêtes de fin d’année, aussi fatigantes soient-elles, l’agitation du mois passé chutait en flèche. Le tourbillon des réunions familiales, des boutiques bondées, des cadeaux et des excès laissait place à l’alarme du réveil réglée sur six heures chaque matin, aux journées froides et pluvieuses, à l’entassement dans le métro, au stress du travail.


Cela faisait désormais presque un an que Marc lui disait de démissionner, qu’à ce train-là, elle terminerait en burn-out et que ça le rongeait de ne pas la voir heureuse. « Et comment vivrons-nous ? », lui répondait-elle invariablement. Les répliques de Marc étaient alors plus ou moins changeantes mais se résumaient en général à : « On verra, on s’en accommodera, on trouvera bien une solution. » S’ensuivait une dispute entre les deux amoureux : Marie reprochait à Marc son manque de sens des réalités, Marc reprochait à Marie de ne rien faire pour se sortir d’une situation professionnelle qui la rendait malade. Régulièrement, Marie se plaignait des coûts engendrés par le mariage, ce à quoi Marc répondait qu’ils pouvaient tout aussi bien annuler et se rendre à la mairie avec Jeanne et Pierre, sans personne d’autre, que ça au moins, ça ne coûterait pas cher. Marie savait qu’il ne le pensait pas vraiment : c’est Marc qui avait tenu à organiser une grande réception avec l’ensemble de la famille et des amis réunis, alors généralement elle clôturait la discussion en passant à autre chose. Il était de toutes façons un peu tard pour annuler car de nombreux fournisseurs avaient déjà été payés et les contrats stipulaient bien qu’il n’y aurait aucun remboursement en cas d’annulation. Dans le même temps, ça la rendait malade d’avoir dépensé autant d’argent dans quelque chose d’aussi éphémère. Elle voyait la réception comme le fait d’une pression sociale qui n’avait rien à voir avec le fait qu’elle veuille épouser Marc. Mais c’était tellement important pour ce dernier qu’elle l’avait suivi.


Il était aussi vrai qu’elle n’était pas épanouie dans son travail et que certains matins, elle avait la nausée en se levant. Mais elle se disait qu’elle avait de la chance, qu’elle avait une position enviable et qu’il serait presque criminel de démissionner alors que ses supérieurs lui promettaient une promotion. Quand ? Elle ne savait pas. Mais ça viendrait un jour se disait-elle, son travail finirait par être reconnu et en étant honnête avec elle-même, beaucoup auraient bien voulu son poste de chargée d’études marketing. La conjoncture n’était pas facile, pourtant elle n’avait pas eu de difficultés, comme d’autres, à trouver du travail en sortant de l’école de commerce que ses parents n’avaient pas rechigné à lui payer. Certains de ses camarades de lycée qui avaient choisi d’autres voies, peinaient encore à trouver du travail bien qu’ils approchaient la trentaine. Marc lui avait demandé un jour pourquoi elle avait fait des études de commerce : elle n’avait pas su répondre. En fait, elle ne s’était jamais vraiment posé la question : c’était une voie qu’on disait sûre et qui lui garantissait un poste dans une entreprise ayant pignon sur rue. Ses parents l’avaient soutenu dans ce projet, et si elle avait parfois envisagé de poursuivre des études artistiques, elle avait rapidement chassé l’idée de son esprit. L’art n’avait jamais offert aucune garantie, il fallait être raisonnable.


Ce soir-là, nous étions le 13 janvier, elle décida de ne pas rentrer directement chez elle. La journée avait été difficile, un client pour lequel elle avait dirigé une étude de marché n’avait pas été satisfait et Laurent, son manager, l’avait convoqué pour lui dire qu’il attendait plus d’elle. Epuisée, elle avait contenu ses larmes, ne sachant pas comment elle aurait pu faire plus. Depuis qu’un nouveau protocole avait été mis en place, le délai des études de marché avait été drastiquement réduit : un argument indéniable pour séduire les clients, mais humainement intenable. Parvenue dans le métro, elle contenait encore ses larmes quand elle décida finalement de sortir à la prochaine station bien qu’elle soit encore loin de chez elle. Elle descendit au niveau du Musée du Louvre et inspira une grande bouffée d’air en débouchant sur la Place Colette face à la Comédie Française. Il faisait déjà nuit mais les passants étaient nombreux et semblaient se presser dans toutes les directions. Marie choisit de remonter l’avenue de l’Opéra et extirpa son téléphone de son cabas afin d’appeler Jeanne. Son amie saurait sûrement lui remonter le moral. Après une unique sonnerie Jeanne décrocha essoufflée : « Oui je sais, tu hais ton boulot, tu hais ton patron, tu es au bord du précipice et tu vas me proposer d’aller boire un verre. J’accepte ! Mais à une condition : que tu me laisses m’exprimer la première. J’ai une information de premier ordre et j’ai besoin d’en parler. Tu es où ?


-Sur l’avenue de l’Opéra, bredouilla Marie.


-Ok, je vois. Je quitte le CNRS dans cinq minutes, ce qui signifie que je devrais être là dans une vingtaine de minutes. Tu n’as qu’à choisir un restaurant de ramen rue Saint Anne et on dînera ensemble. A moins que Marc et toi ayez prévu quelque chose ?


-Non, non, s’empressa Marie. Je vais juste lui passer un coup de fil pour lui dire de ne pas m’attendre.


-Parfait. Envoie-moi ta localisation quand tu auras choisi un endroit ! »


Et elle raccrocha avant même que Marie n’ait pu ajouter quoique ce soit. Avant de glisser son téléphone dans son cabas, Marie appela Marc pour le prévenir qu’elle dînerait avec Jeanne. « Oh » dit-il sur un ton qui sembla à Marie de la déception. Elle se mordit la joue. Elle n’aurait pas dû le prévenir à la dernière minute, mais c’était ça ou s’effondrer en pleurs à la maison, or elle se doutait de pouvoir supporter une dispute maintenant. Finalement, Marc lui dit qu’il l’aimait et qu’il l’attendrait tranquillement avec Néron à la maison. Marie le remercia, raccrocha et se sentit soulagée.


En s’engageant dans la rue Saint Anne qui partait en diagonale de l’avenue de l’Opéra, elle se souvint que c’est là que se trouvait la librairie Voyageurs du Monde, une librairie spécialisée dans les livres de voyage. Sachant qu’elle devrait attendre Jeanne sûrement plus longtemps qu’une vingtaine de minutes, elle décida de s’y rendre : peut-être y trouverait-elle un livre intéressant sur le Vietnam. En pénétrant dans l’atmosphère feutrée de la boutique, elle se détendit instantanément et se mit à parcourir les rayons.


Elle avait perdu la notion du temps quand la sonnerie de son téléphone la fit sursauter. « Oui ? », murmura-t-elle en décrochant afin de ne pas gêner les autres clients. « T’es où ? Je suis à une station. » lui dit Jeanne. Mince, elle ne s’était pas rendu compte que ça faisait plus d’une demi-heure qu’elle feuilletait des livres. Elle répondit à Jeanne : « Dans une librairie. Je règle les bouquins et j’arrive au restaurant. Tu préfères lequel ?


-Je t’avais dit de choisir, ça dépend de ce que tu veux. Kadoya n’est pas mauvais, il y a pas mal de choix. Sinon, Higuma est vraiment accessible. Ou non, attend ! Dosanko Larmen ! C’est le meilleur ! Il est au n°40.


-Va pour Dosanko Larmen ! J’arrive dans cinq minutes. »


Marie savait qu’elle pouvait faire confiance à Jeanne quand il était question d’options gastronomiques à Paris. Elle régla ses achats, un guide sur le Vietnam, un beau-livre sur toute l’Asie du Sud-Est pour Marc, L’Amant de Marguerite Duras qu’elle n’avait jamais lu ainsi que Peste et choléra de Patrick Deville sur le bactériologiste Alexandre Yersin, qui après un voyage en Indochine, élabora le vaccin contre la peste.


Une minute lui suffit pour rejoindre Dosanko Larmen qui était juste à côté. Alors qu’elle s’apprêtait à entrer, elle aperçut Jeanne qui remontait la rue en courant. Jeanne et ses longs cheveux bruns avec sa frange qui lui barrait le visage, Jeanne et ses jambes interminables, Jeanne et ses yeux verts rieurs, Jeanne et ses arabesques parfaites, Jeanne et son air toujours pressé, impatient, nonchalant. Marie avait toujours été un peu jalouse de son amie sans qu’il n’y ait de raison objective à cela. « Entre, entre », lui dit Jeanne en arrivant essoufflée et en la poussant à l’intérieur.


Lorsqu’elles furent enfin attablées et que le serveur eut déposé deux Asahi fraîches sur la table, Jeanne ouvrit la bouche : « Donc, moi la première, comme c’était convenu.


-Vas-y, lui dit Marie.


-Ok. Tu sais que j’effectue des recherches sur les bactériophages ?


-Oui je sais, même si personnellement, je n’ai toujours pas compris à quoi servaient ces machins, objecta Marie.


-Mais enfin Marie, les bactériophages permettent de lutter contre les infections bactériennes ! Ils sont indispensables dans le traitement des bactéries résistantes aux antibiotiques. Et puis ils ne font pas que ça. Tu ne m’écoutes jamais quand je parle ? Ce sont des virus qui s’attaquent aux bactéries. Bref, peu importe, là n’est pas la question. Il se trouve qu’une chose en amenant une autre, j’ai appris quelque chose de troublant aujourd’hui.


-Ah bon ? dit vaguement Marie en train de parcourir le menu et qui s’ennuyait déjà à l’idée de la suite.


-Marie, c’est important ce que j’ai à te dire.


-Je suis toute ouïe, dit celle-ci en reposant à contre-cœur le menu sur la table.


-Ok. Il semblerait qu’un nouveau coronavirus ait été identifié en Chine et qu’il serait responsable de mystérieuses pneumonies.


-Coronavirus ?


-Oui oui, on les appelle comme ça car ils ont une forme de couronne. Il en existe divers comme le SRAS, le MERS, etc. Ils sont à l’origine de maladies émergentes, c’est-à-dire des infections dues à des modifications ou des mutations du virus. Or un nouveau type vient d’être identifié en Chine. Le fait est que si je te parle de ça Marie, c’est parce-que ce n’est pas à prendre à a légère. Des gens sont morts.


-Mais, il n’y a pas des vaccins contre ça ?


-Non, c’est bien là le problème. Les coronavirus possèdent un tel taux de mutation que c’est extrêmement compliqué d’élaborer des vaccins à même de protéger les individus, même si bien-sûr des recherches sont en cours. J’ai une amie, Léa, tu la connais, qui est là-dessus à l’Institut Pasteur.


-D’accord, mais tu me dis que ce truc a été identifié en Chine.


-Exact, l’OMS a annoncé hier son existence. Ils l’ont appelé COVID-19, pas très original, je te l’accorde. Visiblement il aurait déjà fait 59 victimes.


-Je suis sûre que ça ne doit pas être si grave que ça.


-Ecoute, reprit Jeanne en reposant sèchement sa bière sur la table, tu n’as pas l’air de comprendre ce que je te dis. Je sais que tout ça te semble très abstrait mais j’essaie simplement d’éveiller ta conscience à un problème de santé publique majeur. Je ne t’en parlerais pas si je ne pensais pas que c’est important. Ce coronavirus a l’air particulièrement contagieux or dans une dizaine de jours, les Chinois entreront dans leur long longé du nouvel an : cela signifie que des millions d’habitants vont circuler à travers le pays afin de rentrer dans leur famille. Beaucoup de gens pourraient être contaminés. C’est pas Zoé qui vit à Hong-Kong ?


-Si, si, Zoé, bien-sûr, se souvint brusquement Marie. Mais qu’est-ce qu’on peut faire ? Je veux dire, concrètement ?


-Si j’étais toi, je dirais à Marc de l’appeler pour lui dire de rentrer.


-Mais enfin, c’est pas exagéré ?


-Non, ça ne l’est pas, répondit fermement Jeanne. Tu verras Marie, j’espère me tromper, mais dans quelques jours, peut-être un mois, ce truc là fera la une de tous les médias. Bon, et toi, de quoi voulais-tu me parler ?


-Oh, tu sais, toujours la même rengaine. Laurent, les clients…Mais tu sais quoi, j’ai juste envie de manger maintenant et de profiter de la soirée.


-Alors on commande ? »


Les deux amies discutèrent de tout et de rien, puis avoir réglé l’addition marchèrent ensemble jusqu’à la station Quatre Septembre. Pour Marie, le trajet serait direct jusqu’à Parmentier. Quant à Jeanne, elle habitait le quartier Saint-Georges et avait décidé de remonter chez elle à pied. Au moment de se séparer, elle ne put s’empêcher de répéter à Marie : « Je sais que tu me prends pour une obsédée avec mes recherches, mais ce truc, ce COVID-19, c’est pas des conneries. Ça a tout le potentiel pour devenir quelque chose de grave. Je ne voudrais pas qu’il arrive quelque chose à Zoé. Parles-en au moins à Marc. Bon j’y vais, envoie-moi un message pour me dire que tu es bien arrivée. « Toi aussi » avait répondu Marie avant de s’engouffrer dans le métro.


En face d’elle, à l’autre extrémité de la rame, Marie aperçut un homme assis qui s’agitait. Après quelques secondes, elle se rendit compte qu’il se masturbait. Elle regarda autour d’elle et réalisa qu’il n’y avait qu’un autre passager dans le wagon. Par mesure de précaution, elle choisit de descendre à République qui était la station suivante et de remonter la rue Faubourg du Temple à pied. Tout en marchant, elle repensait à ce que Jeanne lui avait révélé. Elle connaissait sa meilleure amie depuis suffisamment longtemps pour sentir que quelque chose n’allait pas, Jeanne avait semblé l’air préoccupée, ce qui ne lui ressemblait pas. Dans le même temps, cette histoire de coronavirus lui semblait bien lointaine. L’inquiétude lui semblait exagérée mais elle se résolut néanmoins à en toucher un mot à Marc.


En poussant la porte de l’appartement, elle trouva son fiancé qui s’était endormi sur le canapé en regardant un film, Néron sur ses genoux. Elle éteignit la télévision puis effleura doucement les lèvres de Marc. En se réveillant, celui-ci murmura : « Tu as passé une bonne soirée ?

-Oui c’était top. Mais je te raconterai demain. Au lit maintenant. »


Parvenu dans le lit, Marc retomba immédiatement dans un profond sommeil. Marie envoya un message à Jeanne où elle écrivit « Bien arrivée », ce à quoi Jeanne répondit « Moi aussi. Prend soin de toi. » Sa nuit fut agitée de rêves confus et à cinq heures du matin, ne parvenant pas à se rendormir, elle décida de se rendre à la cuisine pour faire couler du café. Marc dut l’entendre car il la rejoignit. « Eh bien alors ? Qu’est-ce-que tu as ? », lui demanda-t-il. Marie tira une chaise et décida de lui raconter cette mystérieuse histoire de coronavirus dont Jeanne lui avait parlé. Marc l’écouta attentivement et lorsqu’elle eut terminé son récit, après quelques secondes de silence, il explosa de rire. Marie ne sut pas comment réagir, le voyant ainsi plié en deux, se tenant les côtes, après lui avoir confié quelque chose de grave selon sa meilleure amie. Finalement, Marc se reprit et dit : « Mais Marie, qu’est-ce-que c’est que ces histoires ? Vous aviez bu ou quoi ?


-Mais non ! se défendit-elle. Pas du tout.


-Ecoute Marie, tu sais que j’apprécie ta meilleure amie et que je respecte son travail, même si je n’y comprends pas grand-chose, je l’admets. Mais franchement…Je ne nie pas qu’on ait découvert l’existence de ce coronamachinchose comme tu dis, mais de là à parler d’une épidémie imminente, ça me semble un peu hollywoodien. Je veux dire…si c’était si dangereux que ça, on en aurait entendu parler quand même. Zoé est inscrite sur la liste consulaire des Français de l’étranger et elle n’a reçu aucun message d’alerte.


-Oui tu as raison, se détendit Marie. C’est vrai que j’ai du mal à croire que ce soit si grave que ça. Je me suis inquiétée pour Zoé mais c’est sûrement ridicule. »


Finalement, les deux se mirent à rire ensemble. Ils prirent leur petit-déjeuner, puis Marie partit à la salle de bain pour se préparer, non sans avoir montré à Marc les livres qu’elle avait acheté la veille.


Une dizaine de jours s’écoula, sans que rien ne vînt troubler le quotidien des quatre amis. Mais le 25 janvier au matin, Jeanne téléphona à Marie alors en train de siroter son café dans son fauteuil favori près de la fenêtre, avec sur les genoux Peste et choléra de Patrick Deville qu’elle avait acheté quelques jours plus tôt rue Sainte Anne. Nous étions samedi et elle avait décidé de prendre son temps. Elle eut à peine le temps de décrocher que Jeanne lui dit, sans même la saluer : « T’as écouté la radio ce matin ?


-Euh non, pourquoi ? Sinon, bonjour, comment vas-tu ?


-Excuse-moi mais j’ai pas le temps pour les formules de politesse. Figure-toi qu’hier soir, le gouvernement chinois a annoncé la mise en quarantaine de Whuhan, la ville foyer du COVID-19 identifié il y a peu de temps.


-Oh non, gémit Marie. Tu vas pas recommencer avec ça.


-Laisse-moi parler, la coupa Jeanne exaspérée. Le gouvernement a reconnu qu’un grand nombre d’individus était infecté et que le virus était très contagieux : c’est pour ça qu’ils ont imposé la quarantaine. Le problème c’est qu’ils ont communiqué cette décision tardivement, or nombreux sont les habitants qui avaient déjà quitté la ville pour les congés du Nouvel An chinois. Des tas de gens vont être contaminés Marie. Il faut que tu préviennes Marc, que tu lui dises d’appeler Zoé. Et si tu ne me crois pas, allume ton poste de radio !


-Je te crois, je te crois, se défendit Marie qui commençait à prendre la mesure de la situation. Nous allons contacter Zoé et voir comment elle va. Peut-être aura-t-elle d’autres informations à nous partager.


-Parfait, lui dit Jeanne. Bon je file, j’ai rendez-vous avec Pierre. On doit aller à l’exposition sur Christian Boltanski au Centre Pompidou. A plus tard ! »


Au même instant, Marc qui sortait de la douche pénétrait dans le salon, le visage humide, une serviette nouée autour de la taille. « Bah t’en fais une tête. Qu’est-ce-que tu as ? Me dis pas que c’était Laurent au bout du fil et que tu vas devoir aller au bureau aujourd’hui ? Parce-que c’est plus possible… » Marie l’interrompit d’un mouvement de tête négatif et lui rapporta son échange avec Jeanne. « Merde », s’exclama-t-il. « Alors, c’est sérieux ? »


Marc et Marie parvinrent à appeler Zoé via whatsapp, qui leur confirma qu’en effet, une épidémie s’était bien déclarée à Whuhan, mais qu’elle n’avait aucunement l’idée de rentrer. Elle comptait bien compléter son semestre d’échange jusqu’au bout. Du reste, elle avait peut-être une opportunité de stage qui se profilait à l’horizon. Elle n’allait pas mettre cela en péril pour un virus. Marc n’avait alors pas su se positionner. Sa sœur n’avait pas particulièrement l’air inquiète et même s’il prenait désormais Jeanne au sérieux, il voyait difficilement comment il allait faire changer d’avis à Zoé. Il n’avait finalement pas insisté en se disant qu’il devait lui faire confiance. Après tout, c’est elle qui vivait là-bas et il n’avait pas à lui dire ce qu’elle avait à faire. Il s’inquiétait souvent pour elle : savoir sa petite sœur, seule à l’autre bout du monde, dans une ville grouillante comme Hong-Kong n’était pas le plus rassurant. Mais Zoé avait toujours été profondément indépendante et c’est elle qui avait choisi de partir. Elle avait ses projets et il n’avait aucune intention de s’en mêler si ce n’est pour la soutenir. Il avait donc changé de sujet.


Pourtant, la suite des événements n’augura rien de bon. Le 27 janvier, soit deux jours plus tard, les médias faisaient part de 80 morts et de 2744 cas de contamination confirmés. Plus préoccupant encore, 6000 autres cas étaient suspectés. Léa, l’amie de Jeanne qui travaillait à l’Institut Pasteur, l’avait informé qu’ils venaient d’achever le séquençage de l’ensemble du génome du COVID-19 : ils étaient les premiers à l’avoir fait en Europe. Enfin, le 31 janvier, avec 10 000 personnes contaminées en Chine et 213 morts, l’OMS déclarait l’urgence internationale pour la sixième fois de son histoire.

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