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De Monterrey à Mexico : une nouvelle page de mon expatriation.



Cela fait deux mois qu’Andy et moi avons quitté Monterrey, capitale du Nuevo León, pour Mexico, LA capitale.


Le déménagement s’est révélé rocambolesque[1], et comme dans tout déménagement, les jours qui ont suivi ont été dévolus à faire du repérage : où sont les superettes, les supermarchés, le distributeur automatique, la pharmacie, la boulangerie (sur ce point-là, en bonne Française, j’ai vite trouvé), etc, etc, etc…


Je me suis étonnée de plein de choses : la cloche du camion-poubelle à l’angle de la rue auquel il faut que je cours[2], le pick-up qui tourne en rond et dont le mégaphone annonce qu’il faut leur faire signe si on veut se débarrasser d’un matelas, une machine à laver ou autre encombrant, le vendeur de tamales oaxaqueños, qui lui aussi utilise une voix préenregistrée et multiplie les tours du quartier à bicyclette, le vendeur de fleurs ouvert 24h/24 et 7 jours /7, l’accumulation de poussière dès que j’ouvre les fenêtres et tant d’autres choses…



Mais en réalité, ce qui m’a le plus surprise est un sentiment personnel : je me suis sentie à nouveau vivante. Le plus étrange c’est que ce n’était pas seulement une sensation mais quelque chose de bien visible que des amis et des proches m’ont fait remarquer. Mon visage a pris des couleurs, mes cheveux sont devenus plus souples, moins « plats », moins ternes, je me suis mise à parler avec plus d’entrain, plus de vie. Curieusement, je pourrais dire que peu à peu, j’ai commencé à redevenir moi-même.


J’étais consciente que la vie à Monterrey ne me convenait pas mais je n’avais pas idée à quel point la ville me consumait. Un aspect de la philosophie de vie mexicaine consiste à accepter, comme s’il y avait une sorte de fatalité, et à relativiser (en se disant que d’autres ont des situations moins enviables). De nombreuses fois, alors que je tentais de verbaliser mon mal-être, je me suis entendu dire que le bonheur venait de soi-même et que si je n’étais pas épanouie c’était parce-que je ne faisais pas d’efforts, je ne voyais pas le bon côté. Je me suis entendu dire qu’il fallait que je change et plus loin encore, je me suis entendu dire qu’il me fallait accepter que ma vie ne pouvait désormais se faire qu’à Monterrey car mon mari y était et que toutes les femmes avaient et devaient faire des sacrifices…ça sonnait un peu comme un discours machiste (pourtant prononcé par une femme) du siècle passé…


J’ai arrêté de verbaliser ce que je ressentais (ne pas dire les choses c’est ne pas leur donner d’existence) et j’ai essayé de me convaincre qu’en effet, le tableau n’était pas si noir et que beaucoup faisaient face à des situations plus dramatiques que la mienne. Après tout, j’avais un toit, une jolie vue depuis mon séjour, une voiture pour me déplacer et jamais je n’avais ressenti la faim. Je me le répétais tous les jours, tel un mantra.


Je me souviens que quelqu’un m’a dit un jour : « Tu vois ce grand appartement où tu habites ? À Paris, jamais tu n’aurais pu vivre dans quelque chose d’aussi spacieux. C’est mieux ici. » Comment expliquer à cette personne que je me fichais royalement de l’espace et que tout ce dont j’avais besoin c’était de pouvoir marcher ? Quelqu’un d’autre m’a dit : « Mais les affaires, elles sont ici ! À Monterrey ! » Comment expliquer à cette personne qu’en France, j’avais des diplômes, un travail, la possibilité d’être indépendante ? Enfin une autre personne m’a dit un jour : « Mais tu as ton mari ici, c’est ta famille, alors ? » Comment expliquer que certes j’ai un mari et qu’en effet il est ma famille, mais que j’ai grandi de l’autre côté de l’Atlantique où j’y ai mes racines, un père, une mère, deux sœurs, des amis ?...


Je ne me suis jamais rendu compte, sur le moment, à quel point ce genre de remarques et les « conseils » pour voir les choses de façon plus positive étaient violents et néfastes pour moi. Je les absorbais et je continuais de me convaincre moi-même que c’était ma faute si je n’étais pas heureuse, que sûrement je ne faisais pas suffisamment d’efforts et sans m’en apercevoir, je dépensais une énergie vaine à vouloir persuader les autres et moi-même que ça allait.


Quand la pandémie de COVID-19 est arrivée au Mexique il y a un an, j’ai continué de me répéter que j’étais tout de même chanceuse. Certes mon showroom de robes de mariée pâtissait de la situation mais je n’étais pas à la rue. Certes je ne verrais pas ma famille avant un long moment mais ils allaient bien. Certes le confinement était pesant mais il y avait des gens dans les usines qui eux ne pouvaient pas se payer le luxe de rester à la maison…Mais alors que je m’auto-formatais, je me suis en parallèle mise à faire plus de sport — à faire du sport tous les jours en fait — comme si quelque chose en moi était sur le point de se rompre, comme si mon corps et mon esprit ne pouvaient plus supporter ce formatage. Et en effet, quelques mois plus tard, j’ai craqué. Rien de visible : je ne suis pas effondrée, j’ai continué de me lever le matin, mais j’ai senti un jour en me réveillant que quoiqu’on me dise, il me fallait quitter Monterrey. Ma décision fut aussi ferme que rapide : je savais que je ne reviendrais pas dessus.



J’ai brusquement trouvé misérable d’adopter une position où songer à la misère des autres contribue à alléger nos peines : c’est abject. J’ai soudainement réalisé que c’est tellement commode de penser qu’il y a pire pour se complaire dans sa propre situation et ne rien faire pour la faire évoluer bien que l’on ne soit pas épanoui. Il m’est enfin devenu clair que peu importait ce que les autres pouvaient me dire : il fallait que je me sorte de là et rapidement si je voulais être à nouveau moi-même.


J’ai songé à ce que j’aurais pu dire à certains qui m’ont blessé, par exemple que l’on fait parfois des choix à un instant T mais que ça ne signifie pas que nous ne pourrons pas en faire d’autres plus tard, que la vie n’est pas statique, qu’on a le droit de désirer autre chose, que si l’on a des rêves, des envies, des projets, il faut tout mettre en œuvre pour les concrétiser, que toute une vie ne se fait pas nécessairement au même endroit, mais à quoi bon ?

La seule chose qui comptait vraiment c’était qu’Andy et moi soient sur la même longueur d’onde, autour d’un projet commun. Cela faisait plusieurs années que je ne m’épanouissais pas à Monterrey et je me sentais tel un funambule sur le point de flancher. Nous avons envisagé un déménagement en France mais cela signifiait abandonner notre vie d’entrepreneurs et tout ce pourquoi on s’était battu jusqu’à maintenant. Ça ne faisait pas sens. Nous n’étions pas prêts à abandonner : on voulait persévérer, se donner encore une chance et plus que ça, se donner les moyens. Beaucoup de clientes potentielles me contactaient en déplorant que mon showroom ne soit pas à Mexico. En outre, Andy avait de véritables arguments professionnels pour rejoindre le centre du pays. C’est ainsi qu’en juillet 2020, nous avons pris la décision de déménager à Mexico.


Cela n’a pas été immédiat. Nous avions l’idée d’acheter un bien immobilier or rien ne s’est déroulé comme nous l’avions prévu (voir les articles On a failli acheter un appartement à Mexico et Nous n’achèterons pas à Mexico ?). Cela nous a beaucoup retardé dans notre projet et nous avons finalement pris le parti de continuer à louer pour l’instant. Beaucoup de personnes de notre entourage ont trouvé notre décision de déménager étrange. Pourquoi quitter Monterrey ? Il s’agissait généralement de ceux n’ayant jamais vécu dans un autre endroit. D’autres, nous ont soutenu jusqu’à faire la folie de nous accompagner parce-que toutes nos affaires ne rentraient pas dans la voiture. En ce qui me concerne, je ne peux nier que prendre la décision de déménager n’était pas légère. Mais je ne la vois pas non plus comme quelque chose de si « grand ». Le grand saut je l’ai fait il y a maintenant quelques années quand j’ai quitté la France pour le Mexique. Andy et moi voyons Mexico comme un nouveau souffle, un changement dont nous avions besoin, pas comme un choix de vie définitif. Rien n’est permanent.



Nous avons pris le parti de tout mettre en œuvre pour faire marcher nos affaires et si ça ne fonctionne pas comme nous l’espérons, nous aurons au moins essayé et nous n’aurons pas de regrets. Au-delà de nos objectifs professionnels, le simple fait de vivre dans une ville que nous n’avons brièvement connu qu’au cours de week-ends est vivifiant. La pandémie est bien-sûr encore un frein à nos explorations mais le COVID-19 ne sera pas éternel et le simple fait de pouvoir marcher tous les jours en sortant de la maison est un véritable cadeau.


Le plus terrifiant est de comprendre que ce que je ressentais à Monterrey était en réalité pire que ce dont j’avais vraiment conscience. Il ne m’a pas fallu deux semaines à Mexico pour réaliser à quel point le monde est tellement grand (je commençais à l’oublier…), à quel point il y a toujours plus à découvrir et à expérimenter, à quel point il était temps de me sentir à nouveau vivante.



Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir et j’ai vécu de belles expériences au long de mes 4 ans ½ passés à Monterrey. J’y avais développé des repères et pris des habitudes qui aujourd’hui me manquent tels que les running du dimanche dans le canyon de La Huasteca suivi de petits-déjeuners entre amis. Néanmoins, en mettant les choses dans la balance, le changement, tant sur le plan professionnel que personnel, était devenu nécessaire.



L’expatriation ne cesse de me surprendre, la vie ne me cesse de surprendre : quelle formidable aventure.

[1] Nous avons appelé un couple d’amis à minuit, la veille du déménagement, car nous avions mal calculé notre coup et tout ne rentrait pas dans la voiture qu’on nous avait prêté…Amis qui ont fait la folie de nous accompagner jusqu’à Mexico et…En fait il y a trop de « et » car nous avons vécu mille aventures à tel point que ça mérite d’y consacrer un article entier ! [2] Je ne vis pas dans un grand immeuble avec un gardien mais une maison divisée en appartements et le camion ne s’arrête qu’aux angles des rues.

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