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La vie à Coronalandia


Trois mois et demi après l’arrivée de la pandémie de COVID-19 au Mexique, je me suis aperçue que je n’avais écrit qu’un seul article à ce sujet. Pourtant, ce ne sont pas les choses à en dire qui manquent, non, c’est tout simplement un signe de ma lassitude.


Depuis trois mois et demi je vis en circuit fermé, dans un périmètre délimité, où j’évolue entre l’appartement, le supermarché, mes rendez-vous chez le dentiste (qui ressemble à un astronaute dans sa combinaison protectrice) et mes escapades sur le bitume brûlant de la ville, bien souvent à même la route faute de trottoirs et faute de parcs ouverts pour pouvoir courir, pour pouvoir avoir de l’air aussi étouffant soit-il. Nous sommes entrés il y a peu en pleine canicule ce qui correspond à une moyenne de 40°C à Monterrey.


L’Etat du Nuevo León a pris la décision de mettre fin au confinement début juin, à peu près en même temps qu’en France, la différence étant que nous n’en n’étions pas encore au stade de ma chère patrie. L’épidémie a touché le continent américain environ trois à quatre semaines après l’Europe, il était donc impossible pour le Mexique, début juin, d’avoir atteint le pic. L’argument était bien-sûr économique. Trop de gens avaient déjà perdu leur emploi sans aucun parachute social comme on peut l’observer dans les pays européens. Certaines personnes que je connais et notamment un ami se sont retrouvés licenciés du jour au lendemain sans aucune compensation. Au Mexique toucher le chômage n’existe pas.


Dans ce contexte de réouverture prématurée, l’inévitable s’est produit : une explosion du taux de contagion. Par manque d’information, une grande majorité du peuple a interprété la fin de la campagne « Quédate en casa » (« Reste chez toi ») comme un retour à la « normale », ignorant les gestes barrière, le port du masque et la distance sociale. On voyait les parcs à nouveau noirs de monde, les gens se réunir chez les uns et chez les autres, remplir les restaurants et les églises aussi…Des amis se sont mis à se disputer dans un chat whatsapp que nous avons en commun : il y avait d’un côté ceux qui insistaient sur le fait que nous devions coûte que coûte continuer à prendre des précautions et de l’autre ceux qui considéraient que tout « ça » n’avait que trop duré et qui comptaient bien se réunir, aller au restaurant entre amis, reprendre leur vie d’ « avant ». Chaque jour les esprits s’échauffaient, les débats devenaient plus intenses. Ainsi, l’un des membres du groupe a dit un jour : « Après tout je m’en fiche si je tombe malade, c’est mon problème, ma responsabilité. » Ce à quoi un autre lui a répondu qu’il était égoïste et individualiste dans la mesure où s’il tombait malade il prenait le risque de contaminer tous ceux qui le côtoyaient. Le débat était sans fin, il l’est encore…


À ce jour nous n’avons pas encore atteint le pic au Mexique, la courbe ne cesse de croître et rien ne semble pouvoir endiguer le phénomène. Face à cette crise sanitaire qui ne cesse de grandir, les politiques ont paniqués et démontré un peu plus leur incompétence. Dans l’Etat du Nuevo León, ils ont fait marche arrière : il n’y a pas de confinement imposé mais une incitation à rester chez soi, un couvre-feu de 22h à 5h, une nouvelle fermeture des parcs municipaux et nationaux, une interdiction pour les restaurants d’accueillir des clients le soir après 21h30 ainsi que les week-ends, une amende en cas de refus du port du masque.


Ah le port du masque, ce grand débat qui ne devrait même pas en être un. Des individus qui s’indignent, au nom de leur liberté individuelle et de leur libre-choix, de porter cet infime bout de tissu sur leur nez et sur leur bouche au prix de la vie de milliers de gens. La liberté de chacun ne s’arrête-t-elle pas quand elle empiète sur celle de l’autre ? Vais-je trop loin en osant affirmer qu’en refusant de porter un masque on est un peu meurtrier ? J’entends bien que c’est le virus qui tue mais ce sont bien nous, êtres humains, qui en sommes porteurs. Pourquoi est-il si difficile de comprendre que l’on peut être asymptomatique et transmettre le virus à d’autres qui seront peut-être moins chanceux que nous et qui devront faire face à des complications ? À l’hôpital, les soignants portent quotidiennement des masques pour des milliers de raisons, et pas seulement au bloc opératoire. C’est un acte de protection (protection de soi, protection des autres) courant : alors pourquoi en faire un débat, en particulier lorsqu’il est scientifiquement prouvé que son port est un geste efficace contre la transmission du virus ?


Alors on débat, on débat, on débat, et en attendant des gens perdent leur emploi, des gens ne parviennent plus à se nourrir mais ce n’est pas grave parce-que ceux qu’on voit, ceux qui sont visibles, sur les réseaux sociaux ou dans les médias, vont bien et ne semblent aucunement affectés par la pandémie. Ils sont certes une minorité mais ce sont eux, ceux qui sont au sommet de la pyramide, qui remplissent nos images. Leur vie n’a pas changé et ils sont bien déterminés à tout faire pour qu’elle ne change pas. C’est une tradition de passer chaque été à Puerto Vallarta ? Eh bien on y va ! On avait prévu de faire la rénovation de la cuisine ? Eh bien on la fait, avec vingt ouvriers sur le chantier ! Il y en a même qui s’aventurent à dire que ce sont les « pauvres » qui se contaminent le plus, commentaire classiste qui ne semble pas choquer grand monde. Mais que dire de ceux qui avaient les moyens de monter dans l’avion ?


Ça me rappelle que récemment, un photographe de mariage a dit dans une table ronde en ligne : « Les pauvres, ils seront toujours pauvres. Et les riches, eh bien ils seront toujours riches. Non le problème, c’est la classe moyenne : c’est elle qui va trinquer et payer les pots cassés. » Je ne considère pas qu’il y ait véritablement de classe moyenne au Mexique (voir l’article No, no eres clase media du New York Times) mais j’avoue que sur le moment je n’ai pas su comment interpréter ce propos et qu’en vérité, après trois mois et demi en circuit fermé, je ne sais plus quoi penser. C’est comme si je faisais face à deux dimensions : l’une où tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et l’autre où des gens tombent malades et meurent. Il devient impossible de nier que l’étau se resserre : je compte dans mon entourage des gens qui sont malades, des gens qui ont refusé de prendre des précautions, qui ont refusé de reporter un voyage, qui n’ont pas accepté de se confiner.


On nous avait annoncé que les hôtels seraient fermés mais en réalité, ils sont bel et bien ouverts, l’argument étant bien-sûr à nouveau économique. Et je connais pléthore de personnes qui n’ont pas tardé à sauter dans l’avion pour aller les remplir. On nous raconte que toutes les plages sont fermées mais la réalité est toute autre : certaines plages sont bel et bien ouvertes et bel et bien fréquentées. Il n’y a qu’à ouvrir Instagram pour s’en rendre compte.


Et puis il y a les expatriés. Je pense par exemple aux Français habitués à rentrer en métropole pour l’été. Je comprends le besoin de retrouver ses proches et chaque situation est différente mais je suis par exemple étonnée que la France n’impose pas de quarantaine pour ceux en provenance de pays où la pandémie n’est pas contenue. Elle interdit l’accès aux Mexicains par exemple mais pas aux Français qui résident au Mexique. J’entends bien que la France ne va pas fermer ses portes à ses ressortissants mais mettre en place une mise en quarantaine pendant une quinzaine de jours ne me semble pas inapproprié, au contraire. Je suis parvenue à un stade où je ne vois aucune cohérence dans les décisions qui sont prises par les dirigeants.


Au Mexique, le manque d’information et surtout le manque d’honnêteté est délirant. J’ai récemment vu la série Tchernobyl et certes, cette pandémie n’est pas une explosion de centrale nucléaire mais j’ai trouvé une étrange similitude avec les réactions qui ont découlé de l’explosion/pandémie. Je pense par exemple au déni, à la négation des faits observés et de la gravité de la situation. Je pense également au mensonge. Le personnage de Valeri Legassov, scientifique spécialisé dans l’énergie nucléaire et interprété par l’acteur Jared Harris, dit durant le procès : « Chaque mensonge implique une dette sur la vérité. Tôt ou tard cette dette est payée. » Il fait référence aux mensonges qui ont entouré l’explosion, depuis ceux donnés par les employés de la centrale jusqu’à ceux donnés ensuite par le gouvernement au peuple. C’est une pratique commune des gouvernements populistes, c’est une pratique désormais commune au Mexique.


Malgré les invitations récurrentes d’amis à sortir, à se réunir, je « résiste », afférée à mes principes. Je demeure cohérente. Je sais qu’à partir du moment où j’accepterais une de ces invitations, je romprais la « règle », celle de ne pas s’exposer, d’éviter les contacts. Comment puis-je être certaine que l’autre n’est pas malade, qu’il ne me contaminera pas et que je n’en contaminerais pas d’autres par la suite ? Nous sommes une minorité à agir de la sorte et c’est pour cela que la pandémie fait rage. Mais je suis aussi humaine. Trois mois et demi en circuit fermé, c’est long. Peut-être que demain je faiblirais et que je ne le sais pas encore.


J’observe de loin, dans ma bulle, mes compatriotes français libérés du confinement, qui partent en vacances, voient leurs amis, passent du temps en famille et je suis d’une certaine manière envieuse. Je ne sais pas combien de temps je parviendrais encore à vivre ainsi. Je me sens chaque jour un peu plus asphyxiée par l’enfermement, prise au piège dans la bulle de Monterrey, écrasée par le manque de congés depuis plus d’un an, comme déconnectée. L’unique chose à faire est de patienter, d’attendre que ça « passe » même si nous savons déjà que le virus n’est pas près de disparaître. C’est un triste constat mais peut-être que l’immunité collective se fera plus rapidement au Mexique au vu du nombre de personnes contaminées. À ce jour le pays compte 331 000 personnes touchées par le virus et 38 310 personnes qui en sont décédées mais ces chiffres ne nous disent pas grand-chose car ils sont en-deçà de la réalité.


Cette situation que nous vivons depuis trois mois et demi semble digne d’un scénario de science-fiction mais tristement, cette fois-ci ce n’est pas du cinéma. On l’aurait vu sur grand écran en dégustant notre pop-corn et on aurait eu quelques frissons. On serait sorti de la salle soulagé et en même temps un peu excité par ce que nous aurions vu. Après ça, on serait sûrement aller boire un verre ou manger un morceau puis on aurait oublié.

Cette fois nous sommes pris au piège et il n’y a rien que nous puissions faire pour échapper à ce qu’est devenue notre réalité. Nous n’avons aucune visibilité sur l’avenir, sommes dans l’incapacité de faire quelconque projet et tous les jours se ressemblent. Hier était demain, demain est aujourd’hui, aujourd’hui était hier. Mais il nous reste notre esprit et notre imagination, elle infinie. Il nous reste nos rêves et nos idées, nos voyages intérieurs, notre créativité. Il nous reste nos sentiments, notre amour, nos désirs. Il nous reste notre humanité et celle-là, aucun gouvernement ne pourra nous l’ôter.


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