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Coronalandia au Mexique (et dans le monde)


Alors voilà, le nouveau coronavirus identifié sous le nom de COVID-19 a envahi (devrais-je dire infesté ?) la Terre, notre planète. Il est sur toutes les lèvres, sur tous les écrans, sur toutes les radios, sur tous les réseaux sociaux, dans tous les journaux, il est omniprésent : on ne parle plus que de lui. C’est comme s’il avait annulé tout le reste. Le reste, ce sont les guerres de pouvoir en Afrique, la famine dans le monde, la déforestation, les incendies de forêt en Australie, en Amazonie et en Californie, la fonte des glaces, les défis écologiques, le trafic d’organes, le trafic d’armes, le trafic d’hommes, le terrorisme, la violence à l’égard des femmes, la lutte pour l’égalité des genres…bref, le reste.


Pour certains c’est une menace de fin du monde, pour d’autres c’est la forme vivante d’un péril jaune, une théorie du complot, pour d’autres encore ce n’est qu’une exagération. Nous avons tous un rapport différent au COVID-19 mais qu’on le veuille ou non, il s’est emparé de nos existences.


Mais qu’en est-il au Mexique ?


Comme dans la grande majorité des pays, le gouvernement mexicain n’a point fait preuve d’anticipation et a manqué de réactivité. Il y a de ça un mois encore, Andrés Manuel López Obrador (AMLO), le président mexicain, se vantait d’être protégé contre le coronavirus grâce à des amulettes offertes par des partisans afin de le protéger contre ses « ennemis ». Environ deux semaines plus tard, des photos de lui en train de serrer des gens dans ses bras et d’embrasser une petite fille, apparaissaient dans les médias avant de disparaître [d’être retirées] quelques heures plus tard. Comment comprendre et interpréter un tel manque de clairvoyance de la part d’un président ? À l’heure où les mouvements populistes ne cessent de croître et que l’on compte des chefs d’Etat comme Nicolás Maduro au Venezuela, Jair Bolsonaro au Brésil ou encore Donald Trump aux Etats-Unis, cela n’a pas grand-chose de surprenant.


AMLO, élu président du Mexique en juillet 2018 et qui a pris ses fonctions six mois plus tard, est un homme politique d’extrême gauche qui s’adresse au peuple tous les matins lors de sa « conferencia matutina », appelée aussi « mañanera », tel un père du peuple. C’est aussi un homme qui, à l’instar de son homologue américain, emploie un registre de langue familier. À titre d’exemple, voici les mots qu’il a employé en septembre dernier à propos de la violence dans l’Etat de Tamaulipas : « ¡Ya!, al carajo la delincuencia, fuchi, guácala » qu’il est difficile de traduire avec exactitude mais qui donnerait « Stop ! Que la délinquance aille se faire foutre, beurk, pouah ! » Cela nous donne une idée de la « texture » politique et il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les choses aient tardé au Mexique.


Les premiers Etats à avoir pris des dispositions préventives contre la pandémie ont été Tamaulipas, Coahuila, Jalisco et le Nuevo León où je réside. Ces Etats, situés au nord du pays, ont été les premiers le 16 mars dernier à fermer écoles, bars, restaurants, parcs et cinémas ainsi qu’à inviter les entreprises à faire du télétravail bien que ce n’était pas obligatoire. Au même moment, dans la capitale et le reste du pays, la menace semblait invisible et les habitants continuaient de vivre comme si de rien n’était. C’est ainsi tout naturellement que se tint le festival de rock Vive Latino les 14 et 15 mars derniers à Mexico, réunissant plus de 40 000 personnes par jour. La prise de la température des participants ainsi que la présence de solution hydroalcoolique semblaient dérisoires pour un événement aussi massif. De son côté, l’Etat de Nuevo León a pris la décision d’annuler le festival de musique du Pal Norte, qui devait avoir lieu les 20 et 21 mars, et les organisateurs l’ont reporté au mois de septembre prochain.


Ce n’est finalement que le 31 mars que la Secretaría de Salud (Ministère de la Santé), dirigée entre autres par Hugo López-Gatell, a décrété le confinement pour l’ensemble de la population avec la campagne #QuédateEnCasa. Initialement prévue jusqu’au 17 mai, elle vient aujourd’hui d’être repoussée au 31 mai.


Photo: @HugoLopezGatell


Dans la foulée, les entreprises non-essentielles ont été invitées à cesser leur activité mais un grand nombre d’entre elles, appartenant principalement au secteur automobile (mais pas que), ont malgré tout maintenu leur production. Que dit la « Ley Federal del Trabajo » à ce sujet ? Elle stipule qu’en cas de « contingencia sanitaria », l’employeur est tenu de verser à ses employés un mois de salaire minimum, ce dernier s’élevant actuellement à 123,22 MXN journaliers pour une journée de travail de 8 heures, soit environ 2 465 MXN par mois qui équivalent à 95€…Cela semble dérisoire mais dans ce cas précis, ce n’est même pas la question. En réalité, cette loi ne s’applique pas dans la mesure où l’Etat n’a pas déclaré de « contingencia sanitaria » mais une « emergencia sanitaria ». Le président a par ailleurs interdit aux entreprises de licencier leur personnel et les a tenus de verser les salaires dans leur intégralité. C’est donc cela ? Jouer avec les mots afin de rendre une loi inapplicable et ériger de nouvelles règles, mais de quel droit ?


La réalité est que les entreprises faisant face à une baisse de leurs activités ne sont tout simplement pas en mesure de verser les salaires intégralement et de maintenir l’ensemble de leurs effectifs. Résultat : malgré les dires du président, 346 878 personnes ont perdu leur emploi entre le 13 mars et le 6 avril derniers. En moins d’un mois, le pays a perdu la même quantité d’emplois qui s’était générée en 2019. Au Mexique, le chômage technique n’existe pas, pas plus qu’un quelconque autre parachute social. Comment cela serait-il possible lorsque seul 54% de la population paie des impôts ? Il ne s’agit pas seulement des personnes physiques mais des entreprises. Certains groupes majeurs ne versent pas l’intégralité de ce qu’ils devraient mais le gouvernement mexicain est conscient qu’ils générèrent des emplois, alors…Il est aussi nécessaire de souligner que 56% de la population occupent un travail non-déclaré et ne paient donc pas d’impôts : ils appartiennent à ce qu’on appelle au Mexique le « sector informal ». Il s’agit des commerçants de rue, du personnel de maison, d’artisans…


En attendant, le confinement est très peu respecté. Les entreprises maintiennent leurs activités pour ne pas faire faillite et les employés continuent d’aller travailler car ils ont des familles à nourrir. Mourir de faim ou mourir du coronavirus ? Y-a-t-il une véritable alternative ? Par ailleurs, il y a un manque affligeant d’informations et beaucoup ignorent la dangerosité du virus. La distance sociale au supermarché ? N’y pensez pas. Il y a bien une pancarte à l’entrée, placée à côté des fruits et légumes, mais il semble que personne ne la lise. Le port de masque a récemment été rendu obligatoire mais tout le monde n’a pas les moyens de s’en procurer.


Alors bien-sûr, le nombre de malades augmente et le pire de tout ça, c’est que l’on fait passer les cas de COVID-19 pour des pneumonies atypiques… À l’heure où j’écris, les chiffres officiels rapportent que 5 847 personnes sont infectées par le COVID-19 et que 449 en sont décédées. Dans un pays qui compte 126,2 millions d’habitants, ces données paraissent peu probables mais les tests de dépistage manquent et si l’on parle de pneumonies atypiques alors…L’OMS a récemment félicité le Mexique pour ses efforts et son faible taux de contamination mais je ne peux m’empêcher de soulever une question : quand l’OMS cessera-t-elle de fermer les yeux et d’accepter de recevoir de l’argent en échange de son silence ?


La vérité, c’est qu’à l’heure actuelle, les cas de COVID-19 se multiplient au Mexique sans qu’on ne mesure précisément l’ampleur de la situation. La vérité, c’est que les hôpitaux publics manquent cruellement de matériel : des amis et un beau-frère médecins, en première ligne, manquent de masques et de tout en général. Alors certes, ils sont jeunes, certes ils ont chacun une excellente condition physique et tournent beaucoup les choses en dérision (parce-que quand on rit, la pilule est plus facile à avaler) mais ce n’est tout simplement pas tenable. Récemment, le président s’est exprimé en demandant aux personnels soignants le sacrifice d’eux-mêmes…


Il est encore tôt pour connaître l’issue de cette crise sanitaire qui entraîne le monde vers une crise économique. Le confinement est-il une solution ? Certains prétendent qu’il est un frein au processus d’immunisation collective, d’autres le déclarent indispensable pour éviter de saturer les hôpitaux d’un coup. Certains médecins ont identifié qu’à l’inverse d’autres coronavirus, le COVID-19 mute plus rapidement et qu’alors, ce fameux principe d’immunisation collective saisonnière, ne s’applique pas. Le comportement du COVID-19 ne serait donc pas « traditionnel ». Que savons-nous réellement ?

En France (et ailleurs), la polémique domine les débats. On cherche des responsables, des bouc-émissaires, on fait des audits, on prévoit les procès. Mais pourquoi n’acceptons-nous pas de reconnaître que nous faisons face à quelque chose qui nous échappe ? Du moins pour le moment, parce-qu’à l’heure actuelle des milliers de scientifiques cherchent à comprendre. Peut-être que c’est ça le plus difficile : accepter de ne pas savoir. Accepter que la planète n’est pas la propriété de l’homme, accepter que nous ne sommes pas tout-puissants.


Un coronavirus c’est à la fois juste et injuste. Juste, parce-que tout le monde peut en être victime, quelque soit son âge, son sexe, sa race, son milieu social, son niveau économique : le virus ne fait pas de distinction comme a voulu le faire croire le gouverneur de Puebla qui a décrété que le COVID-19 n’affectaient que les « riches ». Et pour cause, les tests étaient alors si coûteux que seules les personnes bénéficiant d’un certain porte-monnaie pouvaient se faire dépister. Mais injuste parce-que certains ont plus de chance de se protéger que d’autres, parce-que certains ont un meilleur accès aux soins, parce-que certains s’exposent chaque jour en se rendant à l’usine, ou à la caisse du supermarché, ou bien en enfilant sa blouse de soignant. Ça laisse un goût amer dans la bouche.


Beaucoup ont hâte que « ça » finisse et qu’on reprenne les choses « comme avant ». Or j’espère qu’elles ne reprendront surtout pas comme avant, car cette pandémie nous démontre qu’avant, ça ne fonctionnait pas. Je ne crois pas qu’au sortir de cette crise on pourra encore dire que c’était mieux avant : tout sera à reconstruire, à réinventer. On ne peut nier que la tâche sera ardue, que ce seront des années difficiles, qu’il nous faudra du temps pour remonter la pente. C’est la génération Y (celle des Millennials) – ma génération – qui en fera le plus les frais. Mais il est temps de questionner nos modèles économiques, notre rapport au travail, nos modes de consommation, notre rapport à l’environnement, notre lien avec la nature. Il est temps de nous questionner sur nous-mêmes. Et si on pressait enfin le bouton « Reset » ?

 

Quelques liens qui m'ont aidé à rédiger cet article:


https://www.eluniversal.com.mx/nacion/la-mananera-de-amlo-presidente-presenta-su-trebol-de-seis-hojas

https://heraldodemexico.com.mx/pais/detente-enemigo-amlo-muestra-amuletos-y-su-dolar-de-la-suerte-video/

https://www.milenio.com/politica/amlo-presume-amuletos-protectores-coronavirus-covid-19

https://www.milenio.com/politica/fuchi-la-delincuencia-al-carajo-con-ella-dice-amlo

https://www.forbes.com.mx/al-carajo-la-delincuencia-y-la-corrupcion-fuchi-guacala-amlo/

https://www.eluniversal.com.mx/nacion/politica/coronavirus-15-de-abril-mexico-llega-5-mil-847-contagios-de-covid-19-van-449-muertos

https://www.milenio.com/politica/coronavirus-las-sanciones-a-empresas-por-no-cerrar-en-mexico

https://www.forbes.com.mx/noticias-cuarentena-hasta-30-mayo-coronavirus-covid-19/

https://www.eleconomista.com.mx/politica/Mexico-extiende-medidas-preventivas-contra-el-coronavirus-al-30-de-mayo-20200416-0053.html

https://www.eleconomista.com.mx/economia/Cual-es-el-salario-minimo-2020-20191217-0036.html

https://www.eleconomista.com.mx/empresas/Informalidad-repunta-a-56.3-de-la-poblacion-ocupada-20190925-0053.html

https://www.animalpolitico.com/2020/04/perdida-empleos-desempleo-por-covid-19/

https://www.animalpolitico.com/2020/04/cifras-anormales-influenza-respiratorias/

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