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L’expatriation : et si c’était une opportunité pour se réinventer ?


L’expatriation est pour tous vécue différemment. Aventure grandiose pour certains, douloureux chapitre de vie pour d’autres, l’expatriation revêt de multiples visages en fonction du pays et de la culture où on la vit, de notre situation professionnelle et familiale, de notre tempérament et de nos capacités d’adaptation et de bien d’autres aspects encore.

Depuis mon installation au Mexique, tout ne s’est pas révélé facile, loin s’en faut. Si c’est votre première visite du blog, je vous renvoie, entre autres, aux articles suivants :

Mais le temps passé dans ce pays aussi divertissant que déroutant m’a amené à prendre du recul, à relativiser et surtout à me questionner. Et si on rembobinait le film ?

 

L’arrivée ou l’impératif de trouver du travail

Lorsque je me suis installée au Mexique « pour de bon » en juillet 2016, j’étais obsédée par l’idée de trouver un emploi. Je venais d’achever mon Master en commerce international, réorientation difficile qui m’avait amenée à faire un prêt bancaire, et le véritable achèvement de ce projet devait passer selon moi (ce qui découle d’une logique somme toute normale) par le fait de décrocher un poste.

Contrairement à ce qu’Andy avait imaginé (mon futur époux à l’époque car nous n’étions pas encore mariés) les choses se sont révélées compliquées, très compliquées…Afin de ne pas répéter l’histoire et pour de plus amples détails je vous invite à lire Être marié à un mexicain ne donne pas à un étranger le droit de travailler et La vie professionnelle au Mexique. Je dirais simplement ici que ce qui semblait de prime abord une simple recherche d’emploi s’est transformé en véritable challenge. Immigration, visa, entretiens d’embauche menés bien différemment au Mexique par rapport à la France, difficultés à faire reconnaître mes acquis et mes compétences se sont révélés être les principaux obstacles auxquels j’ai dû faire face.

Mais au fond, plus que de ne pas parvenir à trouver du travail, je me suis rendu compte que c’est une forme de pression sociale qui m’affectait le plus. Je ne faisais pas simplement face à l’échec de ne pas décrocher un poste mais à l’échec de ne pas répondre à ce que la société attendait de moi. Quand je mentionne ici la société, je me réfère aux normes avec lesquelles j’ai grandi. A cet égard, je devrais peut-être parler plus d’éducation. Parmi ces normes, le fait qu’une femme doit travailler et être indépendante arrive en tête. J’ai grandi avec l’impératif qu’une femme se doit d’être indépendante, principe avec lequel je suis d’accord, mais j’ai tellement intériorisé cet impératif que je me suis mise à éprouver une profonde culpabilité à ne pas trouver de travail. Selon moi, je me DEVAIS de travailler et ne pas parvenir à obtenir un emploi revêtait pour moi une forme de honte.


Au-delà de la dimension familiale, la France (ma chère mère patrie) est un pays qui prône l’indépendance de la femme, ce dont je suis profondément fière. Mais qu’en est-il des femmes qui ne travaillent pas ? Doivent-elles être jugées pour ne pas travailler, que ce soit par choix personnel ou autre ? La liberté de la femme ne passe-t-elle pas par la possibilité pour elle de faire le choix qui lui convienne le mieux ? En tant que fervente défenseuse des droits de la femme, je suis la première à défendre l’idée que les femmes doivent avoir accès aux études, où qu’elles soient sur la planète, et accès au monde du travail. Néanmoins, je ne suis pas en faveur de blâmer celles qui ne travaillent pas. A contrario, l’archétype de la femme active workaholic, et qui plus est si elle est mère, semble ne pas séduire non plus comme le souligne Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook, dans son livre Lean In (traduit en français par En avant toutes) : « Le stéréotype de la femme active n’a généralement rien de séduisant. La culture populaire dépeint les femmes qui réussissent professionnellement comme obnubilées par leur carrière au point de ne pas avoir de vie privée […] Quand un personnage féminin se consacre à la fois à son travail et à sa famille, elle apparaît presque toujours au bout du rouleau et rongée par la culpabilité […] » En bref, quoique fasse la femme, rien ne va.

Dans mon cas précis, ce n’est pas que j’avais décidé de ne pas travailler mais c’est qu’en tant que femme et étrangère au Mexique, je ne trouvais pas de travail. Minée par le double échec de mes recherches infructueuses et de ne pas être en mesure de répondre à un impératif parental et social, je me suis peu à peu épuisée, découragée, dévalorisée…

 

Tentatives, essais, explorations…

Au bout de six mois j’ai finalement commencé à donner des cours de français à temps partiel dans un centre de langues universitaire. Ce n’était pas ce que je recherchais initialement mais c’était mieux que rien et curieusement, je me suis aperçue que j’aimais enseigner ma langue et partager ma culture.

Six autres mois plus tard (soit un an depuis mon installation au Mexique) j’ai finalement été recrutée par une entreprise qui cherchait des personnes maîtrisant le français afin de négocier avec des fournisseurs québécois. Bien que peu attirée par les missions du poste ainsi que l’industrie (il s’agissait de l’environnement minier avec lequel je ne suis franchement pas en accord) j’étais heureuse de décrocher enfin un emploi en entreprise. Le salaire ne correspondait pas non plus à mes attentes mais après un an, je n’ai pas hésité à me lancer. Les opportunités avaient été bien maigres jusqu’alors et je me sentais toujours aussi écrasée par cet impératif de GAGNER MON PROPRE ARGENT et de DEVOIR travailler, devrais-je préciser devoir travailler EN ENTREPRISE ?

Je soulève la question car lorsque j’ai commencé à enseigner le français, il m’est arrivé de faire face à certains jugements, comme s’il s’agissait d’une profession « inférieure » aux autres, voire dégradante. Je n’avais bien-sûr pas fait un Master en commerce international pour donner des cours de langue, mais c’était une opportunité et surtout, je considère que tous les emplois, quels qu’ils soient, méritent respect et considération. J’avais déjà fait face à un certain nombre de jugements lorsque j’étais infirmière en France et je suis toujours aussi outrée. Je le suis d’autant plus depuis que mon expérience en entreprise s’est révélée être bien moins exigeante (et bien moins utile) que de travailler comme soignant ou enseignant. On nous dépeint toujours les élites, que ce soit en France ou au Mexique. Mais comment serait le monde si notre élite était cette infirmière (ou infirmier) qui vous prodigue soin et confort lorsque vous souffrez, cette personne qui contribue à vous faire sentir un peu mieux et à conserver votre dignité ? Comment serait le monde si notre élite était cet enseignant qui vous apprend à lire et à écrire, qui accompagne l’enfant durant un bout de chemin et qui contribuera à en faire l’homme de demain ?

Je ne saurais généraliser ce que j’ai vécu qui est bien-sûr personnel mais en entreprise, j’ai eu le sentiment de patauger, de stagner. Je n’avais aucune mission concrète et lorsque je me risquais à prendre des initiatives, on me disait qu’il fallait attendre…J’ai donc attendu…six mois. Six mois à m’interroger sur le sens de mon Master qui m’avait coûté bien des sacrifices, qu’ils soient financiers ou personnels, six mois à remettre en cause ma vie au Mexique qui semblait ne me mener nulle part.

Andy et moi sommes partis en Europe pour les fêtes de fin d’année (nous étions alors en décembre 2017) et à notre retour début janvier 2018, j’ai démissionné.

Cela faisait désormais un an et demi que j’étais au Mexique et que je n’étais pas épanouie. J’en souffrais, mon couple en souffrait aussi et globalement le bilan n’était pas très positif. J’étais passée par une intense phase administrative à mon arrivée, pleine d’obstacles et de recherches infructueuses, puis par une phase d’expérimentations, de tentatives, d’essais, mais empreintes d’un certain mal-être. Andy et moi avions eu l’idée de démarrer notre propre business mais nous manquions de fonds. Enfin, je ne m’étendrai même pas sur les remarques du type : « Mais fais des enfants : tu as le temps pour ça ! » La question n’est pas ici de débattre sur les femmes qui veulent des enfants et celles qui n’en veulent pas, mais il ne me semble pas approprié de faire des enfants pour combler un vide ou une insatisfaction. On fait un enfant parce-qu’ on le désire profondément, point.

Ce fût en définitive un étrange processus où je suis venue à m’interroger sur qui j’étais (voire l’article Vivre à l’étranger pour prendre conscience de sa propre identité).

Et puis…j’ai finalement fait le grand saut ! Le saut dans ce que je voulais vraiment, le saut sans savoir si le nouveau chemin que j’allais prendre allait payer, mais le saut où je me suis risquée à faire quelque chose que j’aime, quelque chose qui me tient à cœur, quelque chose qui m’anime, quelque chose qui me donne envie de me lever le matin.

 

L’expatriation : une porte pour se réinventer...

En janvier dernier j’ai donc démissionné pour…écrire. Projet insensé, saugrenu, voué à l’échec pour beaucoup mais plein de sens pour moi.

Mon expatriation m’a amené à me questionner sur ce que je pouvais faire, sur la manière dont je pouvais continuer à avancer et surtout sur comment donner sens à ma vie. Je savais que m’installer à l’étranger ne serait pas aisé, mais je n’avais pas mesuré à quel point le projet était ambitieux. Je croyais naïvement que mes diplômes (je possède aussi un Master mexicain supposément délivré par la plus grande et plus prestigieuse université d’Amérique Latine dans les classements…), ma maîtrise de trois langues ainsi que ma volonté me permettrait de trouver un travail au sein d’une entreprise où j’aurais l’opportunité de me développer et de grandir. Cela n’a pas été le cas. Au début, j’ai eu plutôt tendance à m’acharner, à me battre dans le vide, convaincue que les efforts allaient payer. J’ai mis du temps à renoncer et arrêter de m’auto-flageller. C’est curieux à dire, mais j’ai eu le sentiment que je n’avais plus rien à perdre. J’avais déjà tout perdu.

C’est à ce moment que j’ai commencé à faire tomber les chaînes : éducatives, sociales…Après un an et demi au Mexique, j’ai découvert une philosophie de vie bien différente qui m’a au début dérouté et que j’ai finalement commencé à adopter.

Les Mexicains ont un esprit plus entrepreneurial et surtout une plus grande aptitude à prendre des risques. S’ils échouent, « no pasa nada », petite phrase qu’on entend beaucoup ici et qui signifie « ce n’est pas grave ». La façon dont les Mexicains appréhendent l’échec est plus positive qu’en France et de façon générale, ils sont très optimistes. Point de fatalité pour eux. Les choses passent, les choses coulent, c’est comme ça et il n’y a pas de raison de se torturer. Le plus simple est de continuer à avancer : à quoi bon s’attarder sur les problèmes et sur ce qui n’a pas marché ? Au lieu de perdre son temps à se lamenter, il suffit juste de réessayer. Voici de façon un peu schématique et résumée de la philosophie de vie mexicaine.

Qu’on soit en accord ou non avec, je la trouve plutôt salutaire. Elle libère ! Andy étant mexicain, il a sans nul doute joué un rôle important dans ma mutation personnelle. Il me voyait batailler, il me voyait essayer puis m’épuiser, il se sentait parfois coupable car c’est pour lui que je suis venue m’installer au Mexique, il me voyait lire et écrire dans mon coin alors il m’a encouragé.

Je me suis mise à écrire de plus en plus d’articles pour le blog qui était alors au point mort. Depuis janvier, j’ai ainsi publié une bonne cinquantaine de posts sur l’expatriation, mon sujet de prédilection, mais aussi sur les couples mixtes, la culture mexicaine et les voyages au Mexique et ailleurs. Je viens en outre de lancer la rubrique « Portraits d’Expat’ » où je partage des témoignages d’expatriés francophones au Mexique et dans le monde. En parallèle, je me suis mise très sérieusement à l’écriture de mon roman. J’avais déjà des ébauches, des morceaux, des esquisses mais tout était encore à faire, tout était encore à écrire.

Bien que je dus subir une opération chirurgicale en mai qui me causa quelques désagréments ainsi qu’une longue convalescence, je continuais à écrire et en juillet, après moults relectures, j’achevais mon roman. Pleine de doutes quant à la qualité de ma rédaction, j’ai entrepris de le soumettre à certains éditeurs en France et aujourd’hui je poursuis cette démarche. Je travaille sur d’autres projets d’écriture.

Par ailleurs, j’ai entrepris la licence Humanités à distance avec l’université de Nanterre. Vous me direz, à quoi bon faire une licence quand on a déjà un Master ? En réalité, je dirais que je reviens à mes premiers amours. Je vous explique ? Je vous la raconte cette histoire ? Aller, c’est parti, version synthétique promis.

A l’issue du bac, il y a de ça douze ans, j’ai intégré une classe préparatoire de Lettres (la fameuse hypokhâgne…) que j’ai finalement abandonné. Je n’ai pas regretté mon choix car à ce moment-là, je recherchais autre chose, j’avais besoin d’autre chose. Par ailleurs je ne supportais pas le discours élitiste de la prépa, les enseignants qui vous répètent que si vous êtes là c’est que vous êtes très intelligents mais que paradoxalement vous êtes des m***** car vous avez tout à apprendre pour devenir les intellectuels de demain, l’élite de demain…On en revient aux fameuses élites…

Mais aujourd’hui, douze années après et me consacrant à l’écriture, j’ai senti le besoin urgent de revenir à l’histoire, la littérature, la philosophie, l’anglais…Oserais-je parler du vide que j’ai ressenti en école de commerce ? Je suis consciente que pour beaucoup les Humanités ne valent pas la peine d’être étudiées. Non, aujourd’hui, on prône les sciences, l’industrie, la médecine, l’ingénierie, le commerce : il n’y a que comme ça que l’on est sûr de trouver du travail. C’est cela que j’entends. Je ne dévalorise pas ces disciplines, au contraire, mais je m’oppose au postulat que les Humanités ne servent à rien. Depuis que je me suis plongée avec délice dans mes cours, tout ce que j’apprend me permet de connecter différents savoirs et de mieux analyser l’actualité. Ce n’était pas le cas il y a douze ans mais j’ai désormais la capacité pour apprécier pleinement ces cours et développer mon esprit critiques ainsi que mes capacités d’analyse. En outre, cela nourrit mon écriture. Au fond, je n’étudie pas pour trouver un travail, non, j’étudie par passion. Il m’aura fallu parvenir à mes 30 ans pour boucler la boucle.

De plus, je collabore désormais avec Le Grand Journal du Mexique. J’y débute une chronique Expat et il est probable que je serai amenée à écrire d’autre articles. C’est ainsi qu’à la fin du mois, j’irais couvrir un événement à Monterrey : une rencontre entre entreprises françaises, l’ambassade de France, le gouverneur de l’Etat de Nuevo León ainsi que la Chambre de commerce et d’industrie franco-mexicaine.

Enfin, je cours, beaucoup, de plus en plus (à l’heure actuelle je cours 30 km/semaine environ) afin de me préparer pour le marathon de Paris en avril. Je vous invite à lire Comment Monterrey a fait de moi une coureuse ? J’envisage aussi de me remettre à la danse et à la peinture.

 

En définitive, je n’ai désormais plus une minute à moi pour me morfondre et l’entreprise ne me fait plus vraiment rêver. Petit à petit, je me tourne de plus en plus vers le journalisme…Mais au fond, je crois que j’avais besoin de passer par tout ça, toutes ces péripéties depuis mon installation au Mexique pour en arriver à ces conclusions. Je ne crois pas que tout arrive par hasard. Peut-être me fallait-il abandonner la classe préparatoire pour y revenir plus tard d’une manière différente, avec plus de maturité. Peut-être me fallait-il m’acharner à trouver un poste au Mexique pour comprendre que ce monde ne m’était probablement pas destiné. Parfois, la vie, ce n’est qu’une question de timing.

Ma conclusion est que l’expatriation nous emmène parfois sur des chemins inattendus, auxquels on n’aurait pas pensé si l’on était resté dans notre zone de confort. L’expatriation interroge, remet en question, bouscule nos repères et nos perspectives. Elle n’est jamais facile, et ce même dans une situation « idéale » avec un contrat de travail à l’arrivée. En effet, l’expatriation nous confronte à d’autres modes de vie, d’autres conceptions, d’autres philosophies. Elle induit l’éloignement, aussi. Inéluctablement, elle requiert une phase d’adaptation. Et après ? J’aime à dire qu’après il y a le rebond, un nouveau développement de soi-même, une réinvention.

Je ne peux empêcher le jugement de certains, les regards malveillants, les détracteurs, ceux qui au lieu de vous encourager vous minent en vous disant que vous n’y arriverez pas. Ces personnes ne semblent pas se rendre compte du mal qu’elles peuvent faire. Elles ne sont pas dans vos baskets et n’ont donc aucune idée de ce par quoi vous passez. Bien souvent, elles sont dans des situations radicalement opposées à la vôtre, alors…Les jugements seront toujours présents mais je pense néanmoins que l’on peut s’en affranchir, essayer de s’en libérer. J’ai parfois le sentiment qu’à force d’écouter le négativisme des autres on ne ferait pas grand-chose.

Mon cheminement vaut ce qu’il vaut et je suis consciente que mon expérience est personnelle, mais je sais que d’autres femmes expatriées passent par de plus ou moins longues périodes de doute. Je l’abordais notamment dans La Femme en expatriation. Voilà pourquoi il m’a semblé nécessaire d’écrire cet article en posant la question suivante : et si l’expatriation était une opportunité pour se réinventer ?

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