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Au Mexique, la guerre aux femmes


Foto: AP


Il était une fois les femmes au Mexique


C’était le 3 août 2019. Elle avait 17 ans, elle rentrait d’une fête à Mexico quand une voiture s’est approchée d’elle. Quatre policiers en sont descendus et l’ont embarqué de force pour la violer. Accompagnée de sa mère, elle déposa plainte contre les quatre individus, mais le médecin qui l’examina après le viol ne respecta pas la procédure et déclara qu’il n’y avait aucune trace de violence.


À la suite de cet événement, plusieurs femmes commencèrent à révéler qu’elles avaient été victimes de viol par des policiers.

Un mouvement de contestation se dessina peu à peu, en particulier dans la capitale, mais au lieu de réagir face à l’amplitude de la violence faite aux femmes, un grand nombre de médias minimisèrent la parole des manifestantes en soulignant le seul fait qu’elles avaient causé des dégradations dans l’espace public.


C’était en novembre 2019. Elle fut assassinée alors qu’elle conduisait sa voiture avec ses deux enfants à bord. Deux individus se sont approchés d’elle à moto et ont tiré plusieurs coups de feu. En janvier 2019, soit dix mois plus tôt, elle avait porté plainte contre son mari (l’ex-directeur d’Amazon Mexico) pour tentative d’homicide. Il l’avait attaqué dans la nuit alors qu’elle dormait en lui assenant des coups de batte de baseball. Son fils avait confirmé les faits mais le juge avait laissé le mari en liberté. Il avait à cet égard déclaré : « Si le mari avait réellement eu l’intention de la tuer il l’aurait fait d’un seul coup. Un seul coup aurait été suffisant. » La victime s’appelait Abril Pérez.


Photo: @cuartoscuromex


Plusieurs mois avant l’assassinat d’Abril, le même juge avait donné son accord pour la libération d’un médecin accusé de viol sur une infirmière de 21 ans dans un hôpital public. Son explication ? Il ne s’agissait pas d’un viol dans la mesure où l’acte avait été commis dans un espace où il aurait pu être vu…


Plus proche de nous (ce mois-ci), quelques heures après avoir été assassinée par son compagnon, un média de presse à sensation publia des images de son corps découpé en morceaux. Elle s’appelait Ingrid Escamilla.

La filtration de ces photos généra un mouvement de contestation contre La Prensa, le « journal » qui avait osé les publier. Des femmes cagoulées descendirent dans la rue et incendièrent plusieurs véhicules.


Foto: MercoPress


Au même moment, le Procureur de la République proposa de supprimer le délit de féminicide, en le substituant par homicide aggravant, avec une peine non pas de 40 mais de 70 ans. Cette proposition de modifier le Code pénal fédéral fut critiquée par presque tout l’ensemble du parlement.


Toujours ce même mois, le 11 février dernier, elle a disparu à la sortie de l’école. Des caméras dans la rue ont révélé des images d’elle marchant aux côtés d’une inconnue quinze minutes seulement avant que sa maman n’arrive à l’école. Six jours plus tard, son cadavre a été retrouvé dans divers sacs poubelle avec des signes évidents de viol et de torture. Elle s’appelait Fatima Aldrighett Anton et était âgée de 7 ans.


Photo: @reuters


Ces anecdotes ne sont pas des cas isolés. En 2019, le Mexique a enregistré 976 féminicides dans l’ensemble du pays. Cette année, soit en seulement 52 jours au moment où j’écris cet article, le pays a déjà recensé la mort de 250 femmes assassinées. Parmi elles, vingt avaient moins de 14 ans. L’ONU vient de tirer la sonnette d’alarme. À titre de comparaison, la France recense environ 70 féminicides sur 6 mois. Il faut bien sûr prendre en compte que la France compte 346 324 femmes et que le Mexique en dénombre 63 750 000.


Face à la passivité des autorités mexicaines, des contestations sur les réseaux sociaux ont débuté en août 2019 avec l’hashtag #NoMeCuidanMeViolan (« Ils ne me protègent pas, Ils me violent »).

Comment expliquer cet état de fait ? Comment expliquer qu’au Mexique (et dans bien d’autres pays j’en suis consciente) les femmes demeurent vulnérables ? Pourquoi le sexisme est un phénomène persistant, enraciné si profondément ? Il faudrait des heures pour répondre à ces questions, pour analyser le phénomène que je considère comme l’un des cancers de notre société et il nous faudrait certainement l’aide de sociologues, historiens, psychologues…


Elles s’appelaient Abril, Ingrid, Fátima, Alejandra, Marcela, Pilar, Nallely, Valeria, Andrea, Frida, Laura, Camila, Daniela, Natalia, Raquel, Fernanda, Isabella, Lucia, Martha, Susana, Monserrat, Catalina, Sara…Elles sont des centaines et elles ont perdu leurs voix pour témoigner de ce qu’elles ont subi, pour dire l’atrocité de leurs souffrances, mais qui les auraient écoutés ?


Au Mexique, les femmes avancent bâillonnées, avec la peur au ventre. Elles savent qu’elles ne sont pas en sécurité et que s’il leur arrivait quoique ce soit, les forces de l’ordre ne les soutiendraient pas, et peut-être pire, abuseraient d’elles. C’est pour cela que le 9 mars prochain, au lendemain de la journée internationale de la femme, un grand nombre d’entre elles ne sortiront pas de chez elles. L’initiative, partagée sur les réseaux sociaux au travers de l’hashtag #UnDiaSinMujeres, invite les femmes à ne pas sortir dans la rue, ne pas aller au travail, ne pas aller à l’école, ne pas se rendre dans les magasins. Comment serait donc une société sans femmes ? Tel est le message de cette grève qui je l’espère prendra une dimension véritablement nationale.



Au Mexique on fait la guerre aux femmes et elles sont épuisées de lutter. Mais elles ont encore beaucoup de choses à dire.

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